CHAPITRE III
Les régions polaires de Coruscant rappelaient à Yan Solo la planète Hoth, avec une différence cruciale. Cette fois, Yan était là de son propre gré, accompagné par son jeune protégé, Kyp Durron. Leia était partie avec l’amiral Ackbar en mission diplomatique.
Le Corellien se tenait au sommet d’une des falaises de glace. Il était emmitouflé dans soiV parka anthracite ; ses gants faisaient une tache écarlate sur la blancheur du paysage. Les aurores boréales créaient des rideaux de velours miroitants qui se reflétaient sur la glace.
Il inspira profondément, laissant l’air glacial lui geler les narines.
Puis il se tourna vers Kyp :
— Tu es prêt ?
Pour la cinquième fois, le jeune homme se pencha pour vérifier les fixations de ses turbo-skis.
— Heu… presque, répondit-il.
Yan se pencha pour observer la piste couverte de glace et une boule d’angoisse se forma dans sa gorge.
Des tunnels avaient été creusés dans les calottes des glaciers ; des excavatrices avaient nivelé de gigantesques terrasses dans des montagnes de neige vieilles de plusieurs siècles, faisant fondre la glace avec des réacteurs pour alimenter en eau courante les métropoles des zones tempérées.
— Tu es sûr que tu vas y arriver ? demanda Kyp en agrippant ses bâtons déflecteurs.
— Petit, quand tu te faufiles d’une main dans les amas de trous noirs, tu peux faire du turbo-ski sur une des planètes les plus civilisées de la galaxie !
Kyp le regarda, inquiet, et le Corellien sourit. Le garçon lui rappelait le jeune Luke Skywalker. Depuis que Yan l’avait délivré des mines d’épices de Kessel, Kyp Durron ne l’avait plus quitté. L’emprisonnement avait privé Kyp des meilleures années de sa vie. Yan entendait faire ce qu’il pouvait pour l’aider à oublier.
— Allez, viens !
Il alluma les moteurs de ses turbo-skis et brancha ses bâtons. Le champ répulseur se déclencha sous chaque pointe ; les poignées se soulevèrent pour rétablir l’équilibre.
— C’est parti, dit Kyp. Mais pas sur la piste « enfant »…
Il se détourna du chemin le plus large et s’engagea dans un passage plus petit, qui serpentait au bord de dangereuses falaises avant de s’arrêter au-dessus d’une chute d’eau gelée. Les panneaux ne se trompaient pas. La piste était dangereuse.
— Pas question Kyp, c’est trop…
Le jeune homme se lança.
Hé ! Yan secoua la tête, persuadé qu’il allait devoir récupérer le corps brisé de son compagnon quelque part en contrebas. Mais il n’avait plus le choix, il devait le suivre.
— Kyp ! C’est idiot !
Des cristaux de neige étincelaient derrière les skis du garçon. Comme un expert, celui-ci se servait de ses bâtons pour conserver son équilibre, sachant de manière intuitive ce qu’il devait faire à la seconde précise où il le fallait. Après quelques instants d’observation, Yan se rendit compte que Kyp avait plus de chances de survivre qu’il n’en avait lui-même…
L’air glacial sifflait à ses oreilles. Le Corellien passa sur une bosse qui l’envoya voler dans les airs, puis fit un saut périlleux et se reçut par miracle sur ses skis. Il fonçait à la vitesse d’un Bantha au galop, et, tout pilote émérite qu’il fût, il devait se concentrer pour rester debout. Le paysage défilait trop vite, il ne voyait plus les détails ; chaque irrégularité de terrain pouvait lui être fatale.
Kyp hurla de plaisir en virant sur la gauche pour emprunter la piste noire. Le cri résonna trois fois sur les falaises de glace.
Yan commença à maudire l’irresponsabilité du jeune homme – tout en admettant qu’il ne pouvait s’attendre à autre chose après ce que le pauvre avait subi. Il devait faire de son mieux pour le suivre. Il hurla à son tour, mais pas vraiment de joie.
Les panneaux guidaient les skieurs les plus fous le long de la piste et la surface irrégulière craquait sous les champ répulseurs.
Devant lui, la piste se rétrécit et la pente se modifia. Yan analysa le danger une seconde avant d’arriver devant le précipice.
– Falaise !
Kyp se baissa comme s’il n’était plus qu’un appendice de ses turbo-skis. Il serra ses bâtons et alluma les roquettes, puis s’élança sur le bord de la falaise, décrivant une courbe douce jusqu’en bas.
Yan alluma ses fusées juste à temps et se lança dans le vide. Son estomac descendit plus vite que le reste de son corps ; le souffle gonfla le bord de la capuche de parka.
Devant lui, Kyp atterrit en souplesse et continua sans attendre.
Yan eut le temps de reprendre sa respiration avant que ses skis ne s’écrasent sur le plateau de glace avec un impact terrible. Il s’agrippa à ses bâtons pour garder l’équilibre…
Un courant d’air faisait voler la neige devant eux. Kyp se souleva grâce à ses bâtons, sautant au-dessus de l’obstacle, mais Yan plongea dans le tourbillon.
. La neige collait à ses lunettes, l’aveuglant. Il fit de grands moulinets avec ses bâtons – ce qui le déséquilibra davantage. Enfin, il réussit à essuyer ses lunettes avec son gant juste à temps pour virer et éviter un bloc de glace…
Puis il sentit le sol se dérober sous ses pieds. Sous ses skis, le vide…
Il atterrit de l’autre côté de l’abîme. Derrière lui, un bloc de glace se détacha et tomba dans la crevasse.
Yan accabla d’insultes et d’imprécations son jeune camarade. C’était de la folie… Puis, peu à peu, il se calma. Il réussissait à garder l’équilibre et commença à gagner du terrain sur Kyp. Souriant, il secoua la tête. Après tout, quand ils seraient assis au chaud, à la cantine, ils ne se souviendraient que du plaisir…
D’un geste décidé, il poussa les moteurs de ses turbo-skis.
Devant eux s’étendait un champ de bonne poudreuse, vierge de toute trace. Il n’avait pas neigé depuis un mois dans cette région… Personne n’avait encore été assez fou pour emprunter la piste la plus dangereuse de la station !
D’où ils se trouvaient, ils pouvaient voir l’arrivée de la descente. Il y avait en bas tout ce que désirait Yan : un refuge chauffé, du matériel de communication, des droïds médicaux en sommeil qu’il suffisait de réveiller en cas de blessure et même une boutique vendant des boissons chaudes – hélas fermée faute de clients.
La civilisation !
Kyp regarda autour de lui, poussant ses moteurs au maximum, arrachant des cristaux de glace à la surface gelée. Yan se baissa pour diminuer la résistance de l’air ; le vent et la neige sifflaient à ses oreilles.
Il n’eut pas le temps de se demander ce que signifiaient les panneaux.
Un bruit terrible accompagna le vacarme de la machine. Des jets de vapeur s’échappèrent du champ de neige quand la tête écarlate de la foreuse thermique émergea à l’air libre. L’extrémité en forme de vis continuait de tourner, ouvrant un chemin dans la glace.
— Attention ! hurla Yan.
Kyp était déjà parti sur la gauche, dérapant et poussant tant qu’il pouvait sur ses bâtons. Yan enclencha ses stabilisateurs, se concentra et fonça droit devant. Il avait piloté le Faucon Millenium dans un champ d’astéroïdes, au-dessus de la planète Hoth. Une foreuse thermique n’allait pas lui faire peur !
Passant juste sur le flanc du monstre, le Corellien sentit le jet de neige lui frapper les joues. Ses lunettes s’embrumèrent mais il réussit à trouver le chemin de la chute d’eau, dernier obstacle avant la ligne d’arrivée.
Sur le bord du précipice cascadaient de grands stalactites de glace. Kyp se lança, allumant de nouveau les roquettes.
Yan fit de même, ses bâtons serrés contre les côtes. Le garçon atterrit devant lui dans un nuage de neige. Ils foncèrent et s’arrêtèrent devant le groupe de chalets préfabriqués. Le jeune homme dégrafa la capuche de son parka et éclata de rire. Yan s’agrippait à ses bâtons, sentant son corps trembler de soulagement. Il se mit à rire à son tour.
— C’était vraiment idiot de ta part, réussit-il enfin à dire.
— Oh ? (Kyp haussa les épaules.) Qui a été assez stupide pour me suivre ? Après les mines de Kessel, je ne crois pas qu’une petite course en turbo-ski soit particulièrement dangereuse. Nous devrions demander à 6PO de calculer les chances que nous avions de nous en sortir…
— Je n’aime pas les statistiques, dit Yan avec un sourire. Nous avons réussi, c’est la seule chose qui compte.
Kyp contempla le paysage. Ses yeux suivaient les lignes droites des aqueducs enfouis sous la neige. Seules les stations de pompage étaient visibles.
— Je suis heureux que nous nous soyons autant amusés, Yan, dit-il, le regard fixé sur quelque chose que lui seul semblait voir. Je vis une seconde enfance depuis que tu m’as délivré.
Le Corellien était toujours mal à l’aise quand l’émotion entrait en scène. Il essaya de détendre l’atmosphère.
— Tu sais, tu en as autant fait que moi durant notre évasion.
Kyp n’écoutait pas.
J’ai réfléchi à ce qu’a dit Luke Skywalker quand il a découvert ma capacité de contrôler la Force. J’ai envie d’en apprendre plus. Je pourrais aider la Nouvelle République… Les Impériaux ont ruiné ma vie et détruit ma famille. J’aimerais leur rendre la monnaie de leur pièce.
Yan avala sa salive, comprenant ce que voulait dire le jeune homme.
— Tu te sens prêt à rejoindre les autres élèves de Luke ?
— Je préférerais rester ici et m’amuser toute ma vie, mais…
— Tu le mérites, tu sais, dit Yan à voix basse.
— Je crois que le moment est venu pour moi de prendre les choses au sérieux, répondit Kyp en secouant la tête. Si j’ai ce don, je ne dois pas le laisser perdre.
Yan saisit les épaules du jeune homme et le serra avec force.
— Je m’arrangerai pour que ton voyage pour Yavin 4 se passe le mieux possible.
Un bourdonnement de répulseurs les interrompit. Un droïd messager fonçait sur eux comme un projectile de chrome lancé sur les champs de neige.
— Si c’est un représentant de la fédération de ski, je me plaindrai de cette satanée foreuse, dit Yan. Nous aurions pu nous faire tuer !
Le messager ralentit et s’arrêta.
— Général Solo, confirmez votre identité, dit la voix mécanique. Une empreinte vocale sera suffisante.
— Je suis en vacances, répondit Yan en grognant. Je ne veux pas être dérangé.
— Empreinte vocale confirmée. Je vous remercie. Préparez-vous à recevoir une transmission codée.
Le droïd se stabilisa et projeta une image holographique sur la neige. Yan reconnut avec surprise la silhouette de Mon Mothma ; le chef de l’Etat communiquait rarement avec lui…
— Yan, dit-elle d’une voix lente, mais troublée. (Il remarqua qu’elle l’appelait par son prénom et pas par son grade. Son estomac se serra soudain.) Je vous transmets ce message car il y a eu un accident. La navette de l’amiral Ackbar s’est écrasée sur la planète Vortex. Leia était avec lui – l’amiral a réussi à l’éjecter avant de perdre le contrôle de son appareil. Elle est saine et sauve… Ackbar a activé le champ de force, mais le monument sur lequel il s’est écrasé a été entièrement détruit. On compte pour l’instant trois cent cinquante-huit victimes. C’est un jour tragique pour nous tous, Yan. Revenez dans la Cité Impériale. Leia aura besoin de vous aussitôt que possible.
L’image de Mon Mothma disparut dans un nuage statique.
— Merci, dit le messager. Voici votre reçu.
Le petit ticket bleu tomba dans la neige.
Le Corellien regarda le droïd faire demi-tour et retourner au village, puis écrasa le morceau de papier avec la semelle de son turbo-ski. Il se sentait prêt à vomir. Toute excitation s’était évaporée, laissant place à la tristesse.
— Viens, Kyp. Nous avons de la route à faire.
Si sa programmation le lui avait permis, Z-6PO aurait grelotté de froid. Ses unités thermiques internes n’étaient pas de taille à lutter avec les températures polaires de Coruscant.
6PO était un droïd de protocole parlant couramment six millions de langues. Il était capable d’accomplir un nombre incroyable de tâches et toutes lui semblaient plus intéressantes que de servir de baby-sitter à des jumeaux de deux ans et demi qui le prenaient pour un jouet…
Il avait emmené les enfants au pied des pistes, là où ils pouvaient monter des tauntauns apprivoisés. Le petit Jacen et sa sœur Jaina aimaient ces grosses bêtes puantes et le fermier umgullien propriétaire des animaux était heureux d’y trouver son compte.
Ensuite, 6PO avait stoïquement accepté que les jumeaux fassent un droïd de neige. Ils l’avaient couvert d’une couche blanche – il sentait encore les cristaux de glace coincés dans ses articulations. Il pensait même que son doré avait pris une nuance bleutée à force de rester dans le froid.
La luge était le pire supplice. Les enfants adoraient ça, ils virevoltaient, attachés dans des barquettes spécialement conçues pour les accueillir. 6PO les attendait au bas de la piste… mais il devait ensuite les remonter en haut de la colline pour qu’ils puissent recommencer.
Il se sentait devenir un droïd de laboratoire…
— Oh, si seulement maître Solo pouvait revenir !…
Arrivé au sommet, il attacha Jacen et Jaina sur leurs sièges. Les jumeaux le regardèrent, leurs joues roses luisant sous le soleil. Les humains affirmaient que le froid était bon pour la santé – 6PO aurait aimé avoir un bon antigel.
— Soyez prudents, les enfants, dit-il. Je vous retrouve en bas et je vous remonte… Une fois de plus.
Il lâcha la luge. Jacen et Jaina éclatèrent de rire et 6PO entama sa descente en trottinant.
Quand il atteignit la ligne d’arrivée, les jumeaux essayaient déjà de se détacher et Jaina avait réussi à enlever une boucle. Le droïd aurait beaucoup à dire au technicien du magasin de location qui lui avait assuré que le système était impossible à déverrouiller par des enfants !
— Jacen, Jaina… Laissez la ceinture tranquille !…
Il verrouilla le harnais de la petite fille et déclencha le champ répulseur sous la barquette, puis, saisissant les poignées, il commença à gravir la pente.
Une fois au sommet, les jumeaux hurlèrent « Encore ! » à l’unisson, comme s’ils partageaient le même esprit. 6PO décida qu’il était temps de leur apprendre des rudiments de sagesse, mais, avant qu’il ne puisse commencer son sermon, une navette se posa à proximité.
Yan Solo en émergea, retira la capuche de son parka et jeta ses turbo-skis sur son épaule. Kyp Durron sortit à son tour.
Z-6PO leva un bras doré :
— Par ici ! dit-il. Maître Solo, par ici !
— Papa ! cria Jaina une fraction de seconde avant son frère.
— Dieu soit loué ! dit 6PO, qui commença à détacher les enfants.
— Préparez-vous au départ, dit Yan en avançant vers eux, l’air sombre.
6PO s’apprêta à entonner une litanie de complaintes, mais Yan lui posa les turbo-skis dans les bras.
— Maître Solo, un problème ? dit le droïd, essayant de garder l’équilibre.
— Navré d’écourter les vacances, mais nous devons rentrer.
— Je suis très heureux d’apprendre cette nouvelle, monsieur. Je ne veux pas me plaindre, mais je n’ai pas été conçu pour les températures extrêmes et…
Une grosse boule de neige s’écrasa sur son visage.
— Oh ! dit-il en perdant l’équilibre, les skis dans les bras. Maître Solo, je proteste !
Jacen et Jaina hurlaient de rire, préparant déjà un autre missile.
— Arrêtez de jouer avec 6PO, vous deux. Nous devons rentrer à la maison.
Lando Calrissian n’avait jamais compris comment Chewbacca réussissait à déplacer son énorme carcasse dans le couloir de maintenance du Faucon Millenium. Le Wookie n’était plus qu’un amas de fourrure coincé entre le générateur de secours, le compensateur d’accélération et le générateur de champ antichoc.
Chewbacca laissa échapper la clé hydraulique ; l’outil rebondit et roula hors de portée. Le Wookie gémit… puis poussa un petit cri en se cognant la tête contre un tuyau de refroidissement.
— Non, Chewbacca, non ! dit Lando en tendant le bras dans l’étroit couloir. Ça, ça va là – et ça, ici.
Il montra le circuit du doigt, ignorant le grognement désapprobateur de son compagnon.
— Ecoute, Chewie, je connais aussi ce vaisseau comme ma poche. Il a été à moi quelques années, tu sais…
Le Wookie poussa une série de petits cris qui résonnèrent dans les couloirs du Faucon.
— D’accord, fais comme tu veux. Je vais travailler sur les sas ; je retrouverai bien ta clé. Et Dieu sait quoi avec…
Lando sortit, accueilli par la cacophonie de cris et de bruits de moteurs qui retentissait dans le hangar de l’ancien Palais Impérial de Coruscant. L’air sentait l’huile et le liquide de refroidissement. Humains et extraterrestres travaillaient sur des vaisseaux de toutes tailles, de la petite navette au transporteur lourd.
Les mécaniciens calamariens de l’amiral Ackbar étudiaient la possibilité d’améliorer les engins de la flotte de la Nouvelle République. Terpfen, le mécanicien en chef, allait de vaisseau en vaisseau, fiche en main, vérifiant les réparations et inspectant les travaux de ses gros yeux globuleux.
Lando ouvrit un sas d’accès à la coque du Faucon. La clé hydrique lui tomba dans les mains, accompagnée de deux fusibles, d’un connecteur d’hyperpropulsion et d’un emballage de barre chocolatée.
— Je l’ai, Chewie ! cria-t-il.
La réponse du Wookie fut inaudible dans le vacarme.
Lando observa les traces, sur la coque du Faucon… On aurait dit un résumé de son histoire. Il passa la main sur le métal.
— Hé ! Que fais-tu à mon vaisseau ?
Lando retira sa main et regarda Yan Solo approcher. De l’intérieur du vaisseau, Chewbacca ulula un « mot » de bienvenue.
Le visage du Corellien était tendu.
— J’ai besoin du Faucon tout de suite, dit-il. Il est prêt à décoller ?
— Je faisais juste quelques modifications, mon vieux. Quel est le problème ?
— Qui t’a dit que tu pouvais faire des modifications ? Chewie, on décolle ! Pourquoi as-tu laissé ce clown jouer avec les moteurs ?
— Hé, attends un peu, Yan ! C’était mon vaisseau, tu le sais très bien. Et qui l’a récupéré sur Kessel ? Qui a sauvé ta peau devant la flotte impériale ?
En se dandinant, Z-6PO entra dans le hangar.
— Mes hommages, général Calrissian.
— J’ai perdu le Lady Luck en venant à ton secours, continua Lando, ignorant le droïd. Je pense mériter un peu de gratitude. D’ailleurs, puisque j’ai sacrifié mon vaisseau pour sauver ta peau, je me disais que tu pourrais me rendre le Faucon à la place…
— Fichtre ! dit 6PO. C’est une idée qui demande réflexion, maître Solo.
— Tais-toi, 6PO, dit le Corellien sans même regarder le droïd.
— Tu as un problème de communication, Yan ! lança Lando avec un sourire qui, il le savait, énerverait son ami à coup sûr.
— Le problème, c’est que tu sabotes mon vaisseau. Je ne veux pas que tu y touches. Compris ? Plus jamais. Tu n’as qu’à t’en acheter un avec le ! million de crédits que tu as touché sur Umgul !
— Excellente idée, monsieur, ajouta 6PO. Avec une telle somme, vous pourriez acquérir un magnifique engin, général Calrissian.
— Tu es gentil, 6PO, tu te tais, répondit Lando.
Je ne veux pas d’un autre vaisseau. Si je n’ai plus le Lady Luck, je veux le Faucon. Yan, ta femme est ministre d’Etat. Le gouvernement peut te fournir ce que tu veux. Pourquoi ne prendrais-tu pas un chasseur sorti des arsenaux calamariens ?
Le droïd pencha la tête.
— Je suis certain que l’arrangement bénéficierait…
— Ça suffit, 6PO ! hurla Yan, les yeux rivés sur Lando. Je ne veux pas d’un chasseur ! Le Faucon est à moi.
— Tu n’as fait que le gagner dans une partie de sabacc. Pour tout dire, mon vieux, je me suis toujours demandé si tu n’avais pas triché…
— On m’a traité de brigand, mais jamais de tricheur, siffla le Corellien, furieux. Et si je me souviens bien, tu avais toi-même gagné le Faucon lors d’une partie de cartes avant de me connaître. Et tu n’aurais pas récupéré les mines de gaz de Tibanna pendant une partie de sabacc avec l’ancien baron administrateur, des fois ? Tu es un sacré gagnant Lando, ça, il n’y a pas de doutes. Parfois je trouve ça louche…
— Tu n’es qu’un pirate ! répondit Calrissian, les poings serrés.
Lando avait une réputation de joueur hors pair. Grognant, Chewbacca s’extirpa tant bien que mal du couloir de maintenance, sortit sur la rampe d’accès et agrippa les vérins hydrauliques.
Yan et Lando se rapprochèrent dangereusement, mais Z-6PO s’interposa.
— Excusez-moi, messieurs… pourrais-je faire une suggestion ? Si vous avez tous deux gagné le Faucon lors d’une partie de sabacc et que vous contestez les résultats, une nouvelle partie pourrait vous départager…
— J’étais juste venu chercher mon vaisseau, dit Yan. Mais à présent, c’est une question d’honneur.
— Je te battrai n’importe où, Yan Solo.
— Très bien, dit Yan d’une voix basse. Mais pas au sabacc. Nous allons jouer au sabacc aléatoire…
Lando haussa un sourcil.
— Qui va tenir les comptes ?
— Z-6PO servira de modulateur. Il n’est pas assez intelligent pour tricher.
— Mais, monsieur, coupa le droïd, je n’ai pas la programmation nécessaire pour…
— Tais-toi ! lancèrent à l’unisson Yan et Lando.
— Allons-y, Yan, dit Lando. Avant que tu ne perdes ton sang-froid.
— Tu vas perdre plus que ton sang-froid, cette fois, mon vieux, répondit le Corellien.
Lando installa le jeu sur la table tandis que Solo poussait les derniers fonctionnaires vers la porte du petit salon.
— Allez ouste ! Nous avons besoin de cet endroit.
Le petit groupe protesta, mais Yan s’en moquait.
— Ecrivez à la Nouvelle République. (Il verrouilla la porte et se tourna vers Lando.) Tu es prêt ?
Il s’assit. L’endroit, confortable et élégant, était très différent des salles enfumées où ils avaient l’habitude de jouer.
Les cartes étaient rectangulaires. Un écran cristallin était pris en sandwich entre deux couches de métal.
— Quand tu veux, Yan. Mais… Nous ne sommes pas obligés de…
— Si. Leia a eu un accident et je veux aller l’escorter avec le Faucon, pas avec un vaisseau hôpital.
— Leia a eu un accident ? demanda Lando en se levant. C’est pour cette raison que tu… Oublie tout. Prends le vaisseau. Je plaisantais ; nous réglerons ça une autre fois.
— Non. Tout de suite ou nous ne nous en sortirons jamais. 6PO, pourquoi es-tu si long ?
— Je suis là, maître Solo. Je révisais les règles du sabacc.
Yan tapota sur la console du droïd barman, sourit en choisissant un cocktail pour Lando, avec une fleur tropicale en décoration, et prit une bière épicée. Il s’assit, poussa le verre vers Lando et but une gorgée du sien. Calrissian fit de même, regarda Yan avec des yeux vides et s’obligea à sourire.
— Merci, Yan. Je distribue ?
— Non, pas tout de suite, répondit Yan. 6PO, vérifie que les cartes sont bien mélangées.
— Mais, monsieur je…
— Fais-le. Nous voulons être sûrs qu’aucun de nous ne bénéficie d’un avantage, n’est-ce pas, mon vieux ?
Lando réussit à conserver son sourire en tendant le paquet au droïd, qui passa le jeu dans un mélangeur.
— C’est fait, monsieur. (6PO distribua cinq cartes à chaque joueur.) Le sabacc aléatoire est une combinaison de certaines variantes du sabacc, commença le droïd en récitant le programme qu’il venait de charger. Cinq règles différentes sont choisies de façon aléatoire à des intervalles de temps déterminés par l’ordinateur, en l’occurrence, moi…
— Nous connaissons les règles ! grogna Yan. Et les enjeux. (Les yeux de Lando se rivèrent sur lui.) Le gagnant remporte le Faucon Millenium. Le perdant utilisera les transports en commun de Coruscant…
— Très bien, messieurs, dit 6PO. Activez vos cartes. Le joueur qui atteint le score de cent points sera déclaré vainqueur. La première donne sera jouée suivant… les règles du casino de la Cité des Nuages.
Yan fixa les figures qui apparaissaient sur ses cartes. Il y en avait de quatre sortes : les sabres, les pièces, les flasques et les bâtons.
— Chaque joueur peut choisir d’échanger une carte ; nous vérifierons qui approche le plus du score de vingt-trois, moins vingt-trois ou zéro.
Yan observa son jeu… Il en était loin. Lando arborait un sourire triomphant, mais il le faisait toujours.
— Prêt ?
Lando écrasa le petit bouton placé sur le bord gauche de la carte ; Yan fit de même et vit son huit de pièces se transformer en douze de flasques. Avec le neuf de flasques qu’il avait dans sa main, cela lui faisait vingt et un. Pas terrible, mais il n’avait pas mieux.
— Vingt et un, dit Yan en posant les cartes sur la table.
— Dix-huit, répondit Lando. A toi la différence.
— Le score est de trois points en faveur de maître Solo. La prochaine donne sera jouée suivant… le système de l’impératrice Téta.
Yan avait une suite en main – mais selon les règles de l’impératrice, les joueurs devaient échanger une carte au hasard. Il espérait tomber sur un commander de Sabres, et échoua. Lando remporta la donne, prenant un peu d’avance. Avant qu’ils ne puissent faire le total, 6PO annonça un nouveau changement. Cette fois, la partie était jouée selon les règles standards de Bespin. Or, avec ce système, l’avance de Lando avait doublé.
Yan jura et regarda sa main. Il ne savait pas quoi jouer, ni lâcher. Avant qu’il ne puisse prendre une décision, le cerveau électronique de 6PO modifia à nouveau les règles :
— Gambit corellien, messieurs.
Solo poussa un cri de joie. Avec ces nouvelles règles, les cartes prenaient une tout autre signification…
— C’est bon ! dit-il en étalant son jeu.
Lando grogna, montrant un joker qui ne valait plus que quatorze points suivant la nouvelle donne.
L’avance de Yan dura quelques tours, mais Lando le rattrapa dès que les règles furent à nouveau celles du casino de la Cité des Nuages. Yan se pencha pour prendre une carte… puis les deux joueurs s’immobilisèrent.
— 6PO ? Selon quelles règles jouons-nous ?
— Nouveau changement, déclara le droïd. Règles standards de Bespin. Attendez, nouveau changement ! Impératrice Téta.
Yan et Lando regardèrent à nouveau leurs mains. Yan but une gorgée de sa bière et Lando vida son cocktail avec une grimace. La fleur avait commencé à prendre racine dans le verre.
— 6PO, les scores, demanda Lando.
— Le total est de quatre-vingt-treize points pour maître Solo et de quatre-vingt-sept points pour le général Calrissian.
Les deux adversaires se regardèrent :
— C’est la dernière donne, mon vieux, dit Yan.
— Savoure tes ultimes minutes de propriétaire, Yan, répondit Lando.
— Gambit corellien, dernière donne spéciale.
Yan essaya de se souvenir de ce qui se passait durant la dernière donne du Gambit corellien. Il vit Lando verrouiller une de ses cartes et se préparer à placer sa main au-dessus du générateur de flux, au centre de la table.
Il étudia ses cartes les plus puissantes, Balance et Modération – chacune lui faisait dépasser les cent points. Il verrouilla la Balance pour onze points puis jeta le reste de sa main dans le générateur de flux.
Yan et Lando se penchèrent, regardant les figures se stabiliser.
La main de Calrissian n’avait rien de spectaculaire, mais Yan avait la plus belle de toute la partie. Perte, Endurance, Etoile et la Reine de l’Air et des Ténèbres, ajoutées à la Balance qu’il avait conservée. Son score passait facilement la barre, laissant Lando dans la poussière.
Il hurla de joie au moment même où 6PO déclarait un nouveau changement de règles. Yan fixa le droïd sans y croire.
— Cette donne est calculée suivant la variante d’Ecclessis Figg, dit 6PO.
Les joueurs se regardèrent et dirent en même temps :
— Quelle variante ?
— Dans la donne finale, la somme des cartes impaires est soustraite du total. Maître Solo, vous gagnez dix points avec Endurance et Reine de l’Air et des Ténèbres, mais vous en perdez un total de quarante et un avec vos autres cartes. (Le droïd fit une pause.) Vous avez perdu, monsieur. Le général Calrissian gagne seize points, soit un total de cent trois points. Vous n’avez que soixante deux points.
Yan regarda son verre ; Lando posa ses cartes sur la table.
— Belle partie, Yan. Maintenant, va chercher Leia. Tu veux que je vienne avec toi ?
Yan regardait la table, son verre, ses pieds, tout mais pas Lando. Il se sentait vidé. Il venait de perdre le vaisseau qu’il avait choyé pendant plus de dix ans…
— Il est à toi, bafouilla Yan.
— Mais non, Yan. Tu vas mal. Tu n’aurais jamais dû faire ce pari. Fais…
— Non. Le Faucon est à toi, Lando. Je ne suis pas un tricheur. C’est moi qui t’ai poussé à jouer… (Le Corellien se leva sans finir son verre et tourna le dos à son compagnon.) 6PO, prépare le changement d’immatriculation et mets-toi en contact avec le contrôle central. Affrète un transport diplomatique pour Leia. Je n’irai pas la chercher.
— Je… J’en prendrai soin, dit Lando. Pas une éraflure.
Yan ouvrit la porte et sortit dans le couloir sans répondre.